La taxe carbone est le mécanisme qui permet de rendre un accord international efficace à l'échelle mondiale dans un délai très court, a expliqué M. Hansen à l'AFP, en marge d'une réunion d'experts à Copenhague début mars, où 2.000 climatologues du monde entier ont, trois jours durant, établi le nouvel état de la connaissance du climat. Selon M. Hansen, cette taxe pourrait être facilement mise en place.
Pour ce spécialiste du climat, si les négociations internationales – polarisées autour d'un marché du carbone où s'échangent des permis d'émission de CO2 (souvent décriés comme des droits à polluer) – ne sont pas fondamentalement repensées, elles seront vaines.
S'il s'agit d'un marché carbone, je préférerais qu'aucun accord ne soit conclu à Copenhague et qu'on prenne une ou deux années de plus, lâche M. Hansen, l'un des premiers climatologues à avoir tiré la sonnette d'alarme dans les années 80 en témoignant avec force devant le Congrès américain.
Un climatologue en colère
Le problème du marché carbone est que cela prend des années à négocier, que vous faites des compromis de toutes sortes, et que cela ne fonctionne pas, explique James Hansen. À propos de l'engagement de Barack Obama à lancer, dès 2012 sur le territoire américain, un marché de quotas aux enchères, le climatologue a mis en garde le président contre les conséquences désastreuses de politiques qu'il juge inadaptées : il y a trop de pression en faveur du marché carbone car les grandes entreprises y sont favorables : elles peuvent faire du lobbying, elles peuvent le tordre en leur faveur.
Son analyse prend un relief particulier au moment où, sur le marché européen du carbone, le prix de la tonne de CO2 s'effondre en raison de la crise économique, mettant crûment en lumière ses limites. Le prix du carbone continue sa descente aux enfers : il a terminé le mois de février à 9,46 euros sur le marché Spot/Blue Next. Soit une perte de 70% de sa valeur depuis l'été dernier. Le tsunami économique explique en partie cette évolution. La surallocation initiale de quotas attribués aux industries lourdes sur le marché européen dit ETS (Emissions Trading Scheme), conjuguée avec la récession actuelle, a fait chuter le prix du carbone. Les industries lourdes concernées par le marché ETS sont frappées par la récession (énergéticiens, aciéristes, raffineurs, exploitants de réseaux de chauffage collectif, verriers, cimentiers, fabricants de chaux, chimistes, papetiers et tuileries), qui entraîne une baisse conjoncturelle de leurs émissions liée au ralentissement de l'économie. Du coup, ces entreprises n'ont plus besoin de recourir au marché carbone pour compenser leurs excédents de CO2. A contrario, elles vendent leurs réserves de quotas, gracieusement alloués par les Etats, pour se procurer des liquidités.
À moins de 10 euros la tonne, le système européen de quotas est totalement dépourvu d'intégrité environnementale. En regard des financements qu'il faudrait mobiliser dans la lutte contre les changements climatiques et leurs conséquences, estimées à 175 milliards d'euros par an autour de 2020, la volatilité du prix du CO2 ne peut que plaider en faveur de la taxe carbone prônée par le climatologue James Hansen. En France, la Fondation Nicolas Hulot en avait fait une mesure phare du Grenelle de l'environnement, encore en attente d'une traduction politique dans un délai indéterminé.
Nouvelle usine à gaz ?
C'est dans ce contexte d'actualité brûlante que le Centre d'analyse stratégique (CAS) a diffusé une proposition pour intégrer le système des transports au marché européen du CO21. Prenant le contre-pied des associations de défense de l'environnement, le CAS considère qu'une taxe carbone risque de ne modifier que marginalement le comportement des automobilistes. La fixation sur plusieurs années de prix croissants des carburants donnerait certes un signal visible à l'ensemble des acteurs et leur permettrait de prévoir leurs investissements de manière rationnelle, mais elle relève cependant d'une économie administrée, affirme le CAS. À la place de la fameuse taxe carbone, le Centre d'analyse se rabat sur une solution mixte qui pourrait consister à recourir à un marché de permis d'émission, reposant sur une allocation initiale par des enchères et encadré par un prix plafond (plutôt élevé pour laisser fonctionner le marché) et un prix plancher (pour limiter les éventuels effondrements de prix des permis).
Dans le secteur des transports, cette solution pourrait consister à imposer aux importateurs de carburants ou aux raffineurs (dans l'ensemble de l'Union) d'acquérir des quotas de CO2 (correspondant aux émissions entraînées par les carburants vendus) sur le marché européen du carbone et de répercuter ce prix sur les carburants. Une condition d'acceptabilité du système serait d'abaisser la taxe intérieure sur les produits pétroliers la première année. Une variante pourrait être d'offrir la possibilité aux chargeurs d'acheter eux-mêmes leurs quotas et de les céder à leurs transporteurs : dans ce cas, le gazole professionnel pourrait ne pas être soumis au système précédent. Il incomberait aux transporteurs d'acquérir les quotas dans le contrat passé auprès de leur chargeur et de les fournir au moment de l'achat de carburants. Dans tous les cas, la redistribution des profits perçus par l'État est un élément essentiel d'acceptation du système par l'opinion publique : le financement du Grenelle, le soutien aux plus démunis ou l'allègement des charges sociales constitueraient certainement de bonnes utilisations ; d'autres dispositifs tels que des mécanismes de redistribution pour les familles contraintes financièrement ou « victimes » du mitage urbain, pourraient également être envisagés. Reste que ce système, qui pourrait doper le marché carbone et procurer des devises aux Etats grâce aux enchères, n'échapperait pas à la volatilité ambiante, aux aléas tant financiers que politiques.